Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/121

Cette page a été validée par deux contributeurs.

envie de changer. Il n’y a qu’un extravagant qui puisse songer à les émanciper, ce serait nous causer beaucoup de mal, sans leur apporter aucun bien, ils ne veulent pas de la liberté. »

Ils ne veulent pas de la liberté ! C’est une chose qui suffirait seule à faire aimer la vertu et la vérité, que de considérer dans quelles contradictions tombent toujours et infailliblement ceux qui soutiennent le vice et le mensonge. Écoutez une histoire ; elle nous fut contée un jour en pleine terre de Martinique par M. Arthur Clay, au moment où un nègre qui passait à côté de nous sur la route, arrêta le trot de son cheval pour le saluer fort respectueusement. « Mon père, dit-il, avait reçu d’un de ses amis à l’article de la mort, une somme de 20,000 fr. pour en faire un usage qu’il voulait cacher. Mon père était accompagné par ce nègre, son domestique favori ; il lui donna l’argent à serrer. L’ami revint à la santé ; mais il n’avait pas encore repris les 20,000 fr. que mon père, presque subitement, mourut lui-même. Rien ne constatait l’existence de la somme en sa possession, ni reçu, ni confidence tierce ; le donateur la chercha sans la trouver et la tenait pour perdue, lorsque, trois jours après, le nègre la lui rapporta, disant simplement : « Mon maître m’avait chargé de cacher cet argent pour un emploi secret, je sais qu’il est à vous, le voici[1]. »

Eh bien ! savez-vous ce que l’on donna au fidèle domestique pour récompense de sa bonne action ? La liberté… Pourquoi donc la liberté, s’il ne la demande pas, s’il ne la désire pas, s’il ne la comprend pas ? Et c’est ainsi qu’ils font tous. Ces créoles qui disent et écrivent à satiété « que l’esclave ne veut pas

  1. Nous n’accordons pas plus d’importance qu’il ne convient à des faits individuels ; il n’y a que les faits généraux qui prouvent quelque chose dans une question de la nature de celle qui nous occupe. Nous voulons cependant donner encore au lecteur le plaisir de lire un trait noir d’une délicatesse exquise. Une négresse du jardin  * vint em-

    * On appelle ainsi, par opposition aux domestiques, aux nègres de maisons, ceux qui travaillent à la terre.