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au contraire, le plus palpable indice de son immoralité[1]. « Les hommes, a dit Montesquieu, s’accoutument à tout : à la servitude même, pourvu que le maître ne soit pas plus dur que la servitude. Rien ne met plus près de la condition des bêtes, que de voir toujours des hommes libres, et de ne l’être pas. »

Les colons à courte vue se trompent à de tels symptômes, et demandent pourquoi l’on s’occupe de misérables qui ne paraissent rien désirer ? Les Israélites, non plus, ne voulaient pas sortir d’esclavage, ils étaient arrivés à un point plus horrible encore de dégradation, ils aimaient leur honte, ils disaient à Moïse : « Non, laissez-nous ; servons l’Égypte. » Leur sublime législateur les délivra, presque malgré eux, et à la moindre épreuve dans le désert, ils regrettaient leur servitude. Si Moïse avait consulté les Égyptiens, bien certainement on lui aurait répondu : « Ne vous occupez de ces êtres stupides. Ils sont paresseux par nature, on ne peut les faire travailler qu’à coups de bâton ; et vous voyez qu’ils les supportent, qu’ils n’ont pas

  1. L’Univers du 4 décembre 1841 contenait un fait qui prouve à la fois, et l’action que cette espèce de pouvoir surnaturel exerce sur l’esprit de certains esclaves, au milieu de la dépression continuelle où ils vivent, et l’odieux abus que les colons osent quelquefois en faire.

    « Le noir Louis, Jean-Baptiste, fut amené en France, sous l’empire, par son maître. Il servit dans les armées françaises, de 1804 à 1817 ; en dernier lieu, il était cymbalier au 2e régiment de la garde royale. À cette époque, il eut le malheur de rencontrer son maître qui l’engagea à déserter pour aller à la Guadeloupe embrasser sa vieille mère. Le soldat séduit déserte et part du Havre sur le navire le Saint-Jacques, pendant la traversée, son brevet de chevalier du lys et tous ses papiers sont jetés à la mer. Dès son arrivée, il est remis en servitude, puis vendu. Menace de mort lui est faite, s’il révèle la trame infâme ourdie contre lui. Ce n’est qu’en 1839 que le malheureux a osé venir, pendant la nuit, consulter un avocat sur son affaire ; celui-ci fit venir de France un certificat constatant les services de Louis, qui fut à la fin rendu à la liberté en mars 1840 !

    « Le dernier possesseur de Louis lui a crevé un œil d’un coup de rigoise, lui a cassé un doigt d’un coup de bâton, et lui a causé une tumeur au bas-ventre, à la suite d’un coup de pied. »