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Il est juste de noter encore que beaucoup d’esclaves, s’ils voulaient se racheter, ne pourraient gagner assez d’argent pour y parvenir ; qu’ils savent tous aussi que les maîtres ont droit de refuser le rachat, et que ce droit, bien qu’ils n’en usent pas généralement, on a vu des hommes très bons l’exercer lorsqu’ils y ont cru leurs intérêts engagés. Si les nègres ignoraient la valeur de l’indépendance, rachèteraient-ils donc leurs enfans comme on le leur voit faire, tout en restant esclaves eux-mêmes. Il nous serait facile d’en citer plusieurs exemples à notre connaissance. Ne vit-on pas aussi, lorsqu’il fut déclaré par l’acte d’abolition du parlement anglais, que les esclaves ayant été en Angleterre avaient droit à revendiquer la liberté ; ne vit-on pas beaucoup de vieux nègres inventer les histoires les plus incroyables et les plus embrouillées pour parvenir à prouver qu’ils avaient fait le voyage libérateur ? Ne vit-on pas plusieurs fois alors deux esclaves s’entendre pour témoigner faussement en faveur l’un de l’autre ?

Mais de telles choses, fussent-elles plus rares encore, la proposition des colons fût-elle d’une vérité absolue, elle ne serait pour nous qu’un irrésistible témoignage de plus contre le fait auquel on veut en forger un appui. Est-il rien en effet de plus épouvantablement criminel qu’un mode d’être dans lequel les hommes se dégradent à ce point par leur long et abject assujétissement qu’ils arrivent à l’insensibilité ? Moins le nègre souffre de son humiliation, plus il doit exciter notre pitié ; moins il désire la délivrance, plus c’est un impérieux devoir de le délivrer.

L’ignorance de sa propre nature, l’abrutissement bestial, sont les seules conditions où un homme esclave puisse trouver son état tolérable ; et il faut le dire, pour expliquer l’erreur des colons et l’existence des colonies, il est un certain nombre de nègres qui en sont là. Élevés dans l’atmosphère de la servitude, familiarisés depuis leur naissance avec leur destin, il ne font aucun doute que cela ne soit comme il était écrit, n’ait toujours été, et ne doive toujours être. Un bon vieux magistrat demandait