mise en position d’acquérir autant de bien-être que toute autre race que ce soit, nous nous sentons forcé d’obéir à l’entraînement qui nous rend sensible à ses douleurs ; nous pensons qu’il ne nous est pas permis de détourner les yeux du mal qui s’est fait, avant d’en avoir obtenu la réparation. Quiconque a sondé la plaie a pour devoir d’importuner la société de ses plaintes en faveur des esclaves.
Les colons disent encore : « Les nègres se trouvent bien ; ils ne veulent pas changer, et la preuve, c’est qu’ils n’amassent rien pour parvenir à la possession de leur personne ; ceux même qui ont de quoi se racheter, ne le font pas. »
D’abord, cela n’est point d’une exactitude rigoureuse. Les publications officielles du gouvernement évaluent à un dixième du total des affranchis depuis 1830 le nombre de ceux qui se sont rachetés eux-mêmes[1] ; mais ce dixième, non compris ceux auxquels les maîtres ont refusé le rachat, ce dixième ne vînt-il pas contredire l’assertion des créoles, qu’en faudrait-il conclure, sinon, pour quelques nègres, que, dégradés par la servitude, ils ont peur de la liberté comme nous avons peur de mourir, bien qu’on nous assure que le ciel vaut mieux que ce monde-ci ? Pour d’autres, qu’ils se sont accoutumés à leur sort comme les prisonniers de la Bastille, qui ne voulaient pas sortir des cachots ? Pour la très grande majorité, qu’ils ne savent point faire d’économies, et aiment mieux consacrer l’argent qu’ils gagnent peu à peu à satisfaire leurs passions ? Un motif vrai encore de cette fausse indifférence, c’est que, mieux traités qu’ils n’étaient autrefois et sachant, car on leur dit tout, qu’on parle d’abolition, qu’on s’occupe de leur rachat, ils sont moins disposés que jamais à y consacrer ce qu’ils se trouvent capables d’acquérir.
Ils attendent et il ne faudrait pas même les faire attendre trop long-temps.
- ↑ Notices statistiques sur les colonies françaises, publiées par le ministère de la marine et des colonies, 1837.