Page:Schœlcher - Des colonies françaises, 1842.djvu/116

Cette page a été validée par deux contributeurs.

s’en servir comme des bœufs ou des chevaux, et ceux qui ne le veulent pas souffrir, ne méritent que le ridicule.

Maintenant, que cela soit vrai, que le sort matériel des esclaves coloniaux soit préférable à celui des ouvriers européens, que la servitude telle qu’elle est et sera toujours, vaille mieux que la liberté telle qu’elle est encore ; avons-nous jamais dit que le prolétariat fût le dernier degré de bien-être où les masses pussent atteindre ? Qui croit que l’on ait assez fait pour le peuple, sauf les grands coupables qui l’oppriment[1] ? Est-ce que la philosophie et la morale ne prêchent point et n’agissent point tous les jours pour lui ? Quel homme de cœur et d’intelligence ne demande pas l’abolition du prolétariat avec la même énergie que l’abolition de l’esclavage, l’émancipation des blancs aussi ardemment que l’émancipation des noirs ? Long-temps encore on oubliera le forçat dans son bagne infect, long-temps encore on oubliera le malheureux mourant de faim dans son grenier ! Nous ne l’ignorons pas ; cependant, nous avons trop perdu les illusions de la jeunesse pour n’avoir pas appris à espérer… Mais occupez-vous de ceux-là, nous répètent les créoles, au lieu de vous occuper de nos esclaves, qui ont du manioc en abondance. Savent-ils donc, les hommes qui parlent ainsi, mesurer l’expansion de leur charité, et n’ouvrir dans leur cœur qu’un crédit limité aux souffrances qu’ils rencontrent ?

Pourquoi ne pas faire marcher de front l’une et l’autre réforme ? Les créoles attendent-ils que leur fils aîné ait achevé sa rhétorique pour commencer l’éducation du plus jeune ?

Quant à nous, convaincu que la race noire des îles doit être

  1. Ces idées ne sont pas nouvelles chez nous. En 1833 nous écrivions : « Nos lois et nos gouvernans sont proportionnellement plus coupables envers le peuple, que les maîtres ne le sont envers leurs esclaves. Que l’amélioration morale et physique de la classe la plus pauvre et la plus nombreuse devienne l’unique pensée des aristocraties d’argent et d’intelligence, ou elles auront un compte terrible à rendre des bénéfices sociaux qu’elles monopolisent. » (De l’Esclavage des noirs, 1833.)