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les inquiètes agitations de l’indépendance à la paix stupide et mortifère de la servitude[1].

Mais s’ils croient, s’ils sont persuadés qu’il y a plus de conditions de vrai bonheur pour leurs esclaves, que pour les pauvres de France, si « l’esclavage n’est en réalité que l’organisation du prolétariat[2]. » Pourquoi donc n’offrent-ils pas hardiment l’esclavage comme remède aux maux de nos classes inférieures ? Que ne nous proposent-ils, de rétrograder vers le moyen-âge ? Ô honte ! voilà pourtant quelle serait la conséquence rigoureuse de leurs doctrines, le retour à la servitude, comme amélioration du sort du plus grand nombre ! En vérité, colons, c’est pour nous un grand sujet d’étonnement, que vous vous contentiez de défendre votre propriété pensante, en vous efforçant de prouver qu’elle est fortunée. Si vous êtes réellement convaincu de l’heureux destin de vos nègres ; si vous le jugez réellement le seul bon pour des êtres aussi stupides ; si vous pensez réellement « qu’ils ne pourront jamais rien sans la tutelle de la race blanche. » Pourquoi donc, au lieu de faire retraite dans la légalité de vos droits, ne prenez-vous pas l’offensive qui serait si naturelle en pareil cas ? pourquoi ne nous attaquez-vous point comme des fous qui s’aviseraient, par philantropie, de vouloir soustraire le cheval au service de l’homme ? Car enfin il n’y a pas de milieu. Où les nègres font partie de l’espèce humaine, et alors sous tous les aspects possibles, leur servitude est une offense à l’humanité ; où ils appartiennent à l’ordre animal, et alors on a raison de

  1. « Je ne crois pas qu’aucun de ceux qui composent la nation, voulût tirer au sort pour savoir qui serait libre, qui serait esclave. Les hommes les plus misérables auraient horreur de la servitude. Le cri pour l’esclavage est donc le cri du luxe et de la volupté, et non pas celui de l’amour de la félicité publique. Dans ces choses, voulez-vous savoir si les désirs de chacun sont légitimes, examinez les désirs de tous. »
    (Esprit des Lois, liv. 15, chap. ix.)
  2. C’est M. Chazelles qui a osé dire cela. Voyez son mémoire comme rapporteur de la commission du conseil colonial de la Guadeloupe, 1840, page 13.