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rien à personne et rentre souverain chez lui ; il lui est loisible d’aller, de venir ; il a une famille et des enfans à lui ; il a une patrie, des intérêts de communauté ; il est citoyen ; il peut être maire, juré, électeur ; il est membre actif du grand corps social ; enfin, il est son propre maître et appelé comme tel à partager ce que l’exercice du libre arbitre et la faculté d’aspirer à tout peuvent amener de nobles et fécondes jouissances pour l’homme. Le domestique même garde la faculté de changer sa condition, de s’en aller lorsqu’il est mécontent ; l’esclave doit rester. L’esclave aux heures de repos n’a pas l’indépendance qu’il paraît avoir, le domestique, au moment où il s’aliène davantage, conserve l’indépendance qu’il ne paraît pas avoir. Sous la liberté du premier est toujours la servitude ; sous la servitude volontaire du second est toujours la liberté.

Parmi nous, le riche exploite encore le pauvre, cela est criminel ; mais il ne le possède pas. Leur contrat peut être rompu à volonté. Le pauvre en subissant la servitude de la nécessité, ne cesse pas d’être libre de choisir un autre exploitateur, il ne perd jamais les chances d’en trouver un plus doux. Entre esclave et prolétaire, il y a la différence d’un outil à un ouvrier. Si l’ouvrier est malheureux, c’est une raison pour améliorer son sort, mais non pas une raison pour se dispenser de faire passer l’outil homme à l’état d’ouvrier.

Ce bonheur attribué à l’esclavage… par les maîtres, n’est pas d’invention moderne ; on en disait autant dans le monde antique. Les guerres serviles ont donné les proportions de ce mensonge. Le magnat de la diète de Pologne n’a-t-il pas répondu aussi : « J’aime mieux une liberté périlleuse qu’une servitude paisible ? »

Il y a une chose péremptoire, il nous semble, à objecter à la perpétuelle comparaison de l’esclavage avec le prolétariat. Certes, l’état de soldat paraît beau en France, puisqu’on en voit qui le prennent par goût ; un soldat, comme un nègre esclave, est nourri, préservé du froid, de la misère ; il n’a rien à penser non plus ; on paie son médecin, on prévoit tout pour lui ; bien