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des prisons, qui nous faisait l’honneur de nous accompagner, et lui adressa la réclamation suivante : « Je ne suis pas condamné, je n’ai fait aucun mal, j’ai été pris un soir pour n’avoir point de billet. Mon maître eut précisément alors à se défendre contre un autre maître, qui prétend que je lui appartiens. On me laissa en dépôt ; et, depuis sept mois que dure leur procès, je suis en prison et à la chaîne. Les maîtres se disputant à qui m’aura, ni l’un ni l’autre ne veulent me vêtir ; détenu pour leur compte, l’administration ne veut pas non plus se charger de mon entretien, et vous voyez que je suis nu[1]. Je demande à être habillé ; je demande à n’être plus attaché à la chaîne ; je demande à n’être plus envoyé aux travaux publics ; je demande à sortir de prison. » Et il finit comme il avait commencé : « Je n’ai fait aucun mal ; je ne suis pas condamné. » Le réclamant avait l’air fort tranquille, fort peu exaspéré de l’épouvantable iniquité dont il était victime. M. Lemaire, qui a le cœur très-noble, mais qui habite les colonies depuis quinze ans, reçut sa déclaration tranquillement aussi. Nous lui donnâmes chacun quelque chose, et tout fut dit. Il est peut-être encore à la geôle.

Voilà à quoi un esclave est exposé !

Le Code noir dit : art. 44, « Déclarons les esclaves être meubles, et, comme tels, entrer dans la communauté. » Art. 46 : « Seront, dans les saisies des esclaves, observées les formes prescrites par nos ordonnances, et les coutumes pour les saisies des choses mobilières. Sauf les exceptions suivantes. » Et ici l’art. 48, qui défend de saisir pour dettes les esclaves d’une habitation ou l’habitation, les uns sans les autres. Cet article comme on voit est tout-à-fait exceptionnel, il ne repousse que les créanciers qui pourraient compromettre la propriété en la disloquant ; le principe reste debout, et le principe, c’est la qualité mobilière du nègre. Il faudrait être de la mauvaise foi la plus ignorante du monde, pour nier ce que nous disons ici.

  1. Le proverbe créole a raison : « Cochon dé maîtes mouri grand gout. » Le cochon qui a deux maîtres, meurt de faim.