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un mois ; l’autorité du maître serait ruinée en moins de quinze jours. Le fait de l’esclavage veut que l’esclave doive une obéissance passive, même lorsque son maître lui commande une chose contraire à la loi ou à la morale. On ne saurait admettre qu’il soit juge de ce qui est légal ou honnête ; s’il refuse, il recevra d’abord et avant tout la punition de sa résistance, et puis, quand il ira dire au magistrat : « J’ai été châtié pour n’avoir pas voulu aider un acte immoral », le magistrat lui demandera la preuve. Où la trouvera-t-il ? Supposons que le magistrat aille jusqu’à faire comparaître le maître, celui-ci niera tout, et le lendemain le pauvre esclave sera plus maltraité que jamais non pas, si l’on veut, pour avoir déposé contre son oppresseur, mais pour tel ou tel manquement à ses devoirs. Quel est le soldat que son officier ne puisse trouver en faute dix fois par jour, quand il lui plaît.

Triste, triste condition que celle de cet infortuné ! Demande-t-il justice comme victime, on le frappe du fouet comme rebelle ; parle-t-il au nom de l’équité faite pour tous les hommes, on lui répond au nom de la puissance morale nécessaire à l’autorité des maîtres ; succombe-t-il à l’excès du mal, on dit : c’est une exception… Et ceux qui élèvent la voix pour lui, sont des esprits chagrins ou des ambitieux égoïstes qui comptent bâtir leur fortune politique sur la ruine de la fortune coloniale !

L’esclave n’a de volonté que sous le bon plaisir de son maître. Lui prend-il même l’innocente envie de se livrer à sa passion favorite, à son seul délassement, de battre son tambour et de danser le soir ; l’économe peut le lui défendre, et il doit céder.

Nous avons donc eu raison d’affirmer qu’il est soumis à tous les caprices d’une volonté individuelle, qu’il n’a pas une minute qui soit véritablement à lui. Son maître, en effet, peut disposer de lui, à tout instant, d’une manière absolue. Il est toujours esclave, jamais libre ; esclave depuis la première heure jusqu’à la dernière heure du jour ; depuis la première heure jusqu’à la dernière heure de la nuit. À la campagne encore, il a la faculté de courir, après le soleil couché ; car il sait facile-