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mutilé, il appartient toujours à l’habitation, il ne s’en peut détacher sans une permission écrite du maître[1]. Le dimanche, il ne lui est pas plus loisible que les autres jours de venir aux marchés des villes et des bourgs sans cette permission, il doit toujours être prêt à la montrer aux gardes de police sous peine d’être conduit à la geôle. L’esclave n’a point une minute qui soit véritablement à lui. Le samedi, ce jour accordé, en remplacement de la nourriture qu’on lui doit, est généralement respecté de même que le dimanche ; mais rien ne les lui garantit intacts, rien n’empêche le maître d’en disposer en tout ou en partie. Le mode et la durée du travail sont réglés, il est vrai, par la loi ; mais l’esclave auquel on vole de son repos n’a point à faire d’observation, il faut obéir sans murmure. Où irait-il se plaindre ? Quel magistrat est institué pour l’écouter et voudrait l’écouter ? Les maires sont des colons qui se moqueraient de lui[2] ; les juges-de-paix habitent les villes, et les tribunaux sont fixés loin des campagnes. Le procureur du roi ordonnera-t-il une enquête, lorsqu’un esclave viendra lui dire : « On m’a fait travailler hier une heure de plus que la loi ne permet. » Disons-le, le nègre ne peut pas être protégé contre l’arbitraire. Privé du droit de résister directement à l’oppression ; privé aussi des moyens de faire observer la loi, sans protection efficace auprès d’elle, « réellement courbé sous un joug de fer, dont rien encore n’a diminué la pesanteur » comme un colon l’a écrit avant nous, il est rigoureusement vrai de dire qu’elle n’existe pas pour lui. Et il faut que cela soit ainsi, car s’il avait la faculté de se défendre contre l’arbitraire du maître, et que les magistrats lui prêtassent l’oreille, la société coloniale ne pourrait subsister

  1. Arrêté local du 24 août 1828, portant défense aux esclaves de circuler sans permis, Guadeloupe. Code noir.
  2. Le maire de l’anse Bertrand, instruit de la séquestration prolongée de la fille Lucile dans le cachot Mahaudière, et supplié d’intercéder, pour la faire cesser, répondit : « Qu’il ne voulait pas se mêler de l’intérieur d’une habitation. » Cela fut établi aux débats de cette affaire, auxquels nous avons assisté.