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juste, dites-vous, est flétri dans l’opinion ; oui, cela est vrai, mais il n’en est pas moins dur ou injuste ; et ce n’est pas l’opinion qui en souffre, c’est le nègre. L’esclave vit dans l’abrutissement, au sein d’une déplorable promiscuité, avec un tel oubli de sa nature, qu’il ignore même son âge[1]. Ses enfans, ses enfans ! ne sont pas à lui ! il ne peut exercer aucune autorité paternelle ; ils sont les esclaves du maître avant d’être ses fils ; et celui-ci, dès qu’ils ont atteint l’âge de quatorze ans, peut les lui arracher, les donner, les vendre, en disposer à sa fantaisie, les jeter sur le marché public comme des veaux[2]. Le consentement du père et de la mère, dit le Code noir, n’est pas nécessaire pour le mariage de l’esclave, mais celui du maître seulement !

Et les sophistes disent que la servitude est purement et simplement un fait politique, qui ne blesse ni la morale ni la dignité humaine !

Lors même que l’esclave a fini sa tâche, il ne lui est pas permis d’user de son temps et de sa personne en toute liberté. Il est encore obligé de faire ce que le maître lui ordonne, sous peine du fouet, de la prison et de la barre. L’esclave des colonies, en effet, n’est pas seulement attaché à la terre, il l’est aussi au maître, qui peut disposer de lui à tout instant, qui peut entrer dans son domicile, le jour, la nuit, à toute heure. L’esclave reste privé du droit le plus naturel, du droit de locomotion ; il ne peut aller où il veut, et son maître peut le mener où il ne veut pas aller ; il ne s’appartient jamais tout entier ; être moral

    vernement sur le régime de l’esclavage (1840) ; M. Chazelles a dit : « L’ordonnance du 5 janvier avait un double but : la préparation de l’esclave à la liberté par l’instruction religieuse, l’exécution complète des réglemens sur le régime de l’esclavage. » Ce mot complète n’exprime-t-il pas d’une manière claire que l’exécution était incomplète.

  1. Un esclave à qui vous demandez son âge, répond : « Je ne sais pas, vingt à vingt-quatre ans ; j’étais tout petit garçon quand telle chose arriva. »
  2. Le lecteur peut se reporter à la note de la page 32 pour s’assurer que ce que nous disons ici est malheureusement de la plus scrupuleuse exactitude.