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mations de croissance au prix de douloureuses épreuves physiques ; il n’y a point à s’occuper des nègres. Ils n’ont rien à désirer, et c’est très réellement, comme le disent les colons, une folie d’utopiste vaniteux que de troubler la société pour changer leur sort. Mais l’homme n’a-t-il dans le cerveau que des instincts ? L’homme est-il fait pour en rester là, n’est-ce pas un crime de lèse-humanité que d’imposer des limites à son développement ?

Vous parlez du bien-être matériel de l’esclave, nous n’en avons rien caché, vous nous rendrez cette justice, nous l’espérons et le désirons ; mais laissez-nous maintenant montrer l’autre face de sa destinée. Ce ne sont point des idées philantropiques qui vont être exposées, « de ces rêveries, tant méprisées, auxquelles les abolitionistes s’abandonnent dans leur cabinet » ; ce sont des faits, des faits pris sur nature.

On a vu page 38 comment les latitudes laissées au maître sont tellement étendues, que les lois en faveur des nègres ne sont plus que des mensonges dérisoires. La justice n’intervient guères dans ce qui les concerne que pour l’esclave coupable d’un crime capital. Les conditions où ils sont présentement placés dispensent les maîtres de livrer leurs nègres aux tribunaux, même pour un grand nombre de cas où il y aurait lieu à poursuites criminelles. On peut dire avec toute sûreté d’être moralement vrai, qu’un esclave n’est pas soumis à un pouvoir public : homme chose, il est abandonné à tous les caprices d’une volonté individuelle qui, de gré ou de force, peut en tirer le service qu’il lui plaît[1]. Un maître dur ou in-

  1. « Les esclaves des campagnes sont livrés à l’arbitraire de leurs maîtres, qui peuvent infliger les plus durs châtimens sans le contrôle d’aucune autorité administrative *. »

    M. Chazelles, dans le rapport de la commission du conseil colonial de la Guadeloupe, chargée de l’examen des communications du gou-

    * « La vérité sur les événemens dont la Martinique a été le théâtre en 1841. » L’auteur de cette brochure est un créole auquel il est impossible de refuser une connaissance parfaite de toutes les choses coloniales.