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ÉLÉGIE SÉRIEUSE de Matamore à sa Maîtresse.

Quand mon âme en serait à jamais désolée,

Je ne saurais celer que j'aime Amarillée ;

Son esprit admirable, et qui n'ignore rien,

Peut savoir aisément le désordre du mien.

Mes respects, mon silence, et ma flamme si pure,

Sont des indices clairs du tourment que j'endure :

Et combien que l'Amour ait mon coeur embrasé,

Il est chaste et divin puisqu'elle l'a causé.

Mais ce n'est pas assez qu'elle sache ma flamme,

L'empire qu'à présent elle a dessus mon âme,

Force ma volonté de dire hautement,

Que mon coeur la respecte et l'aime infiniment,

Que mon affection est sans tache et sans crime,

Que le feu dont je brûle, est un feu légitime,

Et que les chastes voeux que j'offre à ses autels,

Ne sont point animés de transports criminels.

Dès le premier moment que je vis cette aimable,

Je sentis en moi-même un trouble inconcevable :

Son geste me charma, son visage me prit,

Et sa rare vertu captiva mon esprit ;

Je devins tout ému, mon âme fut surprise,

Tant de divinités m'ôtèrent la franchise.

Je fus frappé d'un mal sans espoir d'en guérir,

Et fus contraint d'aimer ce qui me fit mourir :