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Avec elles j'abats tours, boulevards, murailles,

Fausses brayes, remparts, escarpes, flancs, tenailles,

Demi-lunes, dehors, cavaliers, terre-pleins,

Courtines, bastions, parapets, ravelins,

Et quelques grands efforts que la Garnison fasse,

Je gagne le dessus, j'entre dedans la place.

Pour exterminer tout je ne veux qu'un moment,

Et de chaque logis je fais un monument.

Quand je suis irrité, les plus hautes montagnes

S'abaissent aussitôt à l'égal des campagnes.

La Nature en conçoit une extrême terreur,

La Lune et le Soleil en pâlissent d'horreur,

Le sang fait inonder les plus basses rivières,

Les champs sont convertis en d'affreux cimetières ;

Je change en des déserts les Palais habités,

Et plus bas que l'Enfer j'abîme des Cités ;

Pour ouvrir un passage à la mer Atlantique,

Je divisai jadis l'Europe de l'Afrique,

Contre mille Titans j'ai défendu les Dieux ;

Atlas étant lassé j'ai soutenu les Cieux ;

Et lorsque je perdrai la célèbre lumière,

Ce tout retournera dans sa masse première :

Car c'est moi qui conduis les merveilleux ressorts,

Par qui sont remués les membres de ce corps.

J'empêche que le feu ne brûle les nuages,

Je contiens l'Océan dans ses moites rivages,

Je balance la terre et ne lui permets pas

Ni de monter plus haut, ni de tomber plus bas.

Mais c'est mal à propos que je crains que la parque

Ait jamais le dessein de me mettre en sa barque,

Mes volontés lui sont une éternelle loi,

C'est de moi seulement qu'elle tient son emploi,

Et je fais dévaler plus d'esprits sous la terre,

Que la contagion, la famine et la guerre.