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Grand dieu, par qui je respire et je rime,
Délivre-moi d’un fâcheux que j’estime !
Un esprit doux est souvent bien fâcheux,
Et me paroît d’autant plus dangereux,
Qu’honnêtement on ne se peut défaire
De qui toujours affecte de vous plaire,
Et même alors que l’on le pousse à bout,
Vous rit au nez, et vous accorde tout.
Un franc brutal contestant comme un diable,
En certain tems seroit plus supportable :
Car bien souvent les contestations
Sont tout le sel des conversations ;
Je ne dis pas qu’un contesteur n’ennuie,
Mais il est bon quelquefois que l’on nie.
Qui beaucoup parle, et toujours de son mieux,
Est un fâcheux des plus fastidieux ;
J’entends parler des hommes et des femmes :
Tout ce qu’il dit est pointe d’épigrammes ;
Tout son plaisir est faire complimens,
Tels qu’on en lit dans les plus sots romans.
Je vis un jour deux hommes de la sorte
S’estocader en s’offrant une porte,
Sans qu’aucun d’eux eût jamais le dernier,
Et leur conflit fut d’un quart-d’heure entier.
Un doucereux, magasin de fleurette,
Qui donne à tout, à maîtresse, à soubrette,
Et qui, pourvu que l’on ait des tettons,
Quand ils seroient trop voisins et trop longs,
Croiroit manquer à sa galanterie,
S’il ne poussoit quelque douceur fleurie,
Est odieux à tous les gens de bien._
Il est ainsi des grands diseurs de rien ;
De ceux qui font d’éternelles redites,
De ceux qui font de trop longues visites ;
Ajoutons-y les réciteurs de vers ;
Ceux qui premiers savent les nouveaux airs,
Et qui par-tout d’une voix téméraire,
Osent chanter comme feroit Hilaire ;
Le grand parleur toujours gesticulant ;
Celui qui rit, et s’écoute en parlant ;
Le clabaudeur qui détonne ou qui braille ;
Ou qui parlant vous frappe et vous tiraille ;
Ou qui rebat jusqu’à l’éternité
Quelque vieux conte ou chapitre affecté ;