Page:Scarron - Oeuvres Tome 7 - 1786.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Me touche plus qu’un mérite sublime ;
C’est ta bonté qui gagna mon estime,
Et qui gagna mon cœur bientôt après,
Comme l’amour suit l’estime de près.
Mais fusses-tu sans bonté ni tendresse,
Un courtisan que le gain intéresse,
Et c’est beaucoup te dire en peu de mots,
Car il n’est pas de pires animaux,
Je t’aimerois toujours, je te le jure ;
Et tu crois bien que c’est d’amitié pure,
Et qu’en l’état où m’a mis le seigneur,
On ne sauroit qu’aimer en tout honneur.
Oh ! si le ciel nous eut faits l’un pour l’autre,
Peu d’amitiés eussent passé la nôtre ;
Mais le mérite étant de ton côté,
Et la grandeur et la prospérité,
Et moi n’étant que défauts, que misères,
Que désespoirs, que mauvaises affaires,
Et de quoi diable un objet de pitié
Auroit-il pu payer ton amitié ?
Sans m’aimer donc, souffre au moins que l’on t’aime,
C’est trop pour moi : mais par un heur extrême,
Si tu voulois m’aimer bien fort aussi,
Par la raison qu’on t’aimeroit ainsi,
Que de bon cœur , ô fortune cruelle !
On oubliroit comme une bagatelle
Les rudes maux que ta haine m’a faits,
Qui m’ont souvent fait tomber sous le faix !
Que de lauriers couronneroient ma tête,
Pour avoir fait une telle conquête,
Avoir su faire un ami précieux
D’un vrai héros descendu de nos dieux,
Dans la saison que ma vie avancée
N’est déjà plus qu’une histoire passée,
Et qu’en l’état où mes malheurs m’ont mis,
On n’est plus propre à faire des amis !
Mais brisons-là, plaisirs imaginaires,
Châteaux en l’air, inutiles chimères :
Que mon d’Albret m’aime ou ne m’aime pas,
Aimons toujours, n’en soyons jamais las ;
Et recherchons les moyens de lui plaire.
Adressons-lui notre épître colère,
Dernier chagrin d’une muse en courroux,
Contre plusieurs, et quasi contre tous.