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jugeroient à propos. Personne ne les venoit voir les mains vuides, et personne ne doutoit plus de leur canonisation future. On en vint jusqu’à les consulter sur les choses douteuses et sur l’avenir. Héléne qui avoit de l’esprit comme un démon, avoit soin des réponses, et rendoit tous ses oracles en peu de paroles, et en termes qui pouvoient avoir diverses interprétations. Leurs lits fort simples n’étoient le jour couverts que de nattes, et la nuit de tout ce qu’il falloit pour dormir délicieusement ; leur maison étant bien garnie de matelas de laine, de bons lits de plumes, de couvertures fines, et de toutes sortes de meubles qui servent à la commodité de la vie, ou pour donner à la veuve, dont les meubles avoient été exécutés, ou pour meubler la jeune fille, qui se marioit sans bien. Leur porte en hiver se fermoit à cinq heures, et en été à sept, avec autant de ponctualité que dans un couvent bien réglé ; et alors les broches tournoient, la cassollette s’allumoit, le gibier se rôtissoit, le couvert se mettoit bien propre, et l’hypocrite Triumvirat mangeoit de grande force, et buvoit vigoureusement à leur propre santé et à celle de leurs dupes. Montufar et Héléne couchoient ensemble de peur des esprits, et leur valet et leur servante qui étoient de même complexion, les imitoient en leur façon de passer la nuit. Pour la bonne femme Mendez, elle couchoit toujours seule, et étoit bien plus contemplative qu’active, depuis qu’elle s’étoit adonnée aux sciences noires. Voilà ce qu’ils faisoient au-lleu de l’oraison mentale, ou de se donner la discipline. Il ne faut pas demander s’ils avoient de l’embonpoint, menant une si bonne vie : chacun en bénissoit le seigneur, et ne pouvoit trop s’étonner de ce que des gens qui vivoient si austérement avoient meilleur visage que ceux qui