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regardoit fort inquiète ; chacun attendoit que l’autre parlât, et Dom-Sanche alloit enfin ouvrir la conversation, quand un page vint lui dite à toute bride, que messieurs ses cousins s’entretuoient. Il piqua, suivi du page, où il avoit laissé sa compagnie, et trouva quatre ou cinq ivrognes qui se disoient des injures l’épée à la main, et qui se tiroient de loin des estocades et des estramaçons, dont plusieurs arbres voisins perdirent de belles et bonnes branches, Dom-Sanche enragé de s’être privé de l’agréable vision qu’il venoit d’avoir, faisoit ce qu’il pouvoir pour accorder promptement ces irréconciliables et peu redoutables ennemis ; mais ses raisons, ses prières et ses menaces eussent été de peu d’effet, si la lassitude et le vin qui leur étourdissoit la tête, ne les eût fait si souvent tomber par terre, qu’enfin ils y restèrent, et y ronflèrent aussi paisiblement qu’ils s’étoient d’abord querellés avec violence. Dom-Sanche repoussa son cheval vers le bienheureux arbre qui gardoit l’idole de son cœur, mais il fut bien étonné de n’y trouver plus ce qu’il cherchoit, il le regarda de tous ses yeux , qu’il porta ensuite par-tout où ils pouvoient aller, il ne vit qu’une triste solitude : il courut à cheval dans tous les lieux voisins, et revint vers son arbre, qui comme un arbre qu’il étoit ne s’en émut pas : mais comme Dom-Sanche étoit poëte et même poëte plaintif, il n’eut pas la même indifférence pour cet arbre insensible. Voici donc, après avoir mis pied à terre, ce qu’il lui dit, ou du-moins ce qu’il lui dut dire, s’il est vrai qu’il fut aussi fou qu’on m’a dit qu’il l’étoit. O tronc bienheureux ! puisque tu as été embrassé par celle que j’aime sans la connoître, et que je ne connois que pour l’aimer, que tes feuilles se puissent mêler parmi les