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augméntée le matin, fit espérer à Héléne et à Mendez que la fièvre peut-être les secourroit au besoin. Montufar se sentant si foible qu’il ne pouvoit se soutenir, fit savoir aux dames qu’il ne falloit pas sortir de Guadarrama, qu’il falloit avoir un médecin à quelque prix que ce fût, et prendre de lui tous les soins imaginables. Cela fut dit avec autant d’empire et d’autorité que s’il eût parlé à des esclaves, et que s’il eût été maître de leurs vies et de leur bien. La fièvre cependant se rendoit maîtresse de son corps et de son esprit, et l’avoit déjà mis en tel état, que s’il n’eût demandé souvent à boire, on eût pu croire qu’il étoit mort. On murmuroit déjà dans l’hôtellerie de ce que l’on tardoit si longtems à le faire confesser, quand Héléne et Mendez, qui ne doutoient plus que la fièvre ne l’eût frappé à mort, s’assirent des deux côtés de son lit, où Héléne prit la parole en ces termes. Si tu te souviens, notre cher Monrufar, de quelle façon tu as toujours vécu avec moi à qui tu as toutes les obligations imaginables, et avec Mendez vénérable pour son âge et pour sa vertu, tu ne te mettras point à la tête que j’aille beaucoup importuner le Don dieu de te rendre la santé, mais quand je la souhaiterois autant que j’ai sujet de souhaiter ta perte, il faudroit toujours que sa sainte volonté soit faite ; que par une résignation parfaite je lui offrisse moi-même ce que j’aurois le plus aimé autrefois. Pour te parler franchement, nous commencions d’être si lasses de ta tyrannie, que notre séparation étoit inévitable et si dieu n’y eût pourvu, de notre part nous eussions fait pour cela, non pas autant que toi, car tu vas bien droit et bien vîte en l’autre monde ; mais au-moins eussions nous tâché d’aller en quelque endroit d’Espagne, où nous n’aurions