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mangea un morceau, courut chez son oncle ; et là, après s’être informé du page qui avoit introduit Héléne dans la chambre du vieux marquis, de quelle façon le carosse étoit fait, combien ils étoient de compagnie, et à quelles enseignes on les pourroit reconnoître, il prit la poste de Tolède à Madrid, suivi de deux valets dont le courage lui étoit connu. Il courut quatre ou cinq postes si vîte, qu’il n’eut pas le moindre souvenir de la belle étrangère ; mais sa colère s’étant un peu évaporée par l’agitation, Héléne reprit place en sa fantaisie, si belle et si charmante, qu’il lui vint plus d’une fois dans l’esprit de retourner à Tolède pour la chercher. Il se voulut cent fois du mal d’avoir pris si chaudement le vol fait à son oncle, et cent fois en lui-même s’appella imprudent et ennemi de sa propre satisfaction, de se briser le corps à courir la poste, au-lieu d’employer mieux son tems à courir après un bien, dont la possession à son avis pouvoit le rendre souverainement heureux. Tandis que ses amoureuses réflexions l’occupèrent, il se parla souvent tout seul comme un fou, et si haut que ses valets qui couroient devant lui, tournèrent bride et revinrent sur leurs pas, pour savoir ce qu’il vouloit. Pourquoi, s’écrioit-il quelquefois, m’éloignai-je du lieu où je l’ai vue ; et ne serois-je pas le plas malheureux de tous les hommes, si cette étrangère n’étoit plus à Tolède quand j’y serai de retour ? Hà ! je n’aurois que ce que je mérite, pour me vouloir mêler de faire le prévôt. Mais, continuoit-il, si je retournois à Tolède sans avoir rien fait, que diroient de moi ceux qui me voulurent détourner d’une telle entreprise ? Et dois-je laisser des larrons impunis qui ont volé l’argent de mon oncle d’une maniére si inouïe,