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tôt que d’intérêt. Le Génevois fit banqueroute, je ne sai si nous en fûmes cause. Il y eut des querelles pour l’amour de moi, la justice nous visita plus par civilité qu’autrement ; mais ma mére avoit une aversion naturelle pour les gens de robe, et ne haïssoit pas moins les braves et les narcisses, qui commençoient à nous obséder. Elle jugea donc à propos d’aller à Séville, fit argent de tous ses meubles, et me mit avec elle dans un carosse de retour. Nous fumes vendues par notre cocher, volées de tout ce que nous avions, et ma mére tellement battue, parce qu’elle défendit son bien autant que ses forces le lui purent permettre, qu’avant de pouvoir attraper une méchante hôtellerie, elle mourut au pied d’un rocher. Je m’armai de résolution, quoique je fusse bien jeune. Je fouillai tous les plis des habits de ma mére, mais il n’y avoit rien à foire après les exacts voleurs qui y avoient passé. Je la laissai à la discrétion des passans, pensant bien qu’en un grand-chemin tel que celui de Madrid à Séville, son corps que j’abandonnois ne manqueroit pas de personnes charitables qui la fissent enterrer. J’arrivai à Madrid : mes amans surent mon infortune, y remédièrent, et en peu de tems je fus remontée d’habits et de meubles. En ce tems-là je te vis chez une de mes amies, et j’y fus charmée de tes bonnes qualités. Je n’ai plus rien à t’apprendre de ma vie, puisque depuis ce tems-là nous l’avons toujours passée ensemble. Nous sommes venus à Tolède, nous en sortons à la hâte, et si bien en argent, que si tu avois autant de courage que je t’en ai cru, tu serois plus gai que tu n’es. Et puisque la relation que je t’ai faite a eu la vertu de te donner envie de dormir, comme je reconnois