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haïssoit ceux de sa profession. Je n’ai su que longtems depuis, que l’on entendoit par-là lui reprocher qu’il portoit des cornes comme un taureau ; mais on ne peut faire taire les mauvaises langues, ni défendre au peuple ses mauvaises railleries. Ma mére s’affligea de la mort de mon pére, je m’en affligeai aussi ; elle se consola, et je me consolai. Ma beauté, quelque tems après, commença à faire parler de moi. Il y eut presse dans Madrid à me mener au cours et à la comédie, et à me donner des collations sur les bords du Mansanarés. Ma mére me gardoit comme un argus, jusques-là que j’en murmurais ; mais je reconnus bientôt que ce n’avoit été qu’à mon profit. Sa sévérité et le haut prix où elle me mettoit, fit valoir sa marchandise, et causa de l’émulation entre ceux qui me faisoient les doux yeux. Je fus entr’eux à l’enchère, chacun d’eux crut m’avoir emportée sur son rival , et chacun crut avoir trouvé ce qui n’y étoit plus. Un riche Génevois qui ne paroissoit point sur les rangs, fit reluire tant d’or aux yeux de ma prudente mére, et lui fit voir tant de franchise en son procédé, qu’elle favorisa ses bonnes intentions. Il eut le premier place en mes bonnes grâces, mais cette primauté lui coûta bon. On eut pour lui de la fidélité, tant que l’on crut qu’il doutoit de la nôtre ; mais aussi-tôt qu’il nous en parut persuadé, nous lui en manquâmes. Ma mére étoit trop sensible aux peines d’autrui, pour n’être pas touchée des plaintes continuelles de mes amans, tous les principaux de la cour et tous fort riches. Il est vrai qu’ils ne répandoient pas l’argent comme le Génevois ; mais ma mére qui savoit estimer les grands profits, ne méprisoit pas les petits ; outre qu’elle étoit obligeante par principe de charité plu-