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aventures qui me sent arrivées avant notre connoissance. Je te dirais bien que je suis de bonne maison, et me donnerais bien un nom illustre, comme fait aujourd’hui la plupart du monde ; mais je veux être si sincère avec toi, que je te découvrirai jusqu’aux moindres défauts de ceux qui m’ont mise au monde. Mon pére donc étoit Gallicien d’origine, laquais de profession, ou, pour parler de lui plus honorablement, estafier. La mémoire du patriarche Noé lui étoit fort vénérable pour la seule invention de la vigne ; et sans rattachement qu’il avoit pour le vin, on peut dire de lui qu’il en avoit fort peu pour les biens temporels de ce monde. Ma mére étoit de Grenade, esclave, pour vous parler franchement ; mais on ne peut aller contre son étoile. Elle répondoit au nom de Marie que lui avoient donné ses maîtres, et c’étoit son nom de baptême ; mais on lui eût laie plus grand plaisir de l’appeller Zara, qui étoit son nom de mosquée ; car puisqu’il vous faut tout dire, elle étoit chrétienne par complaisance et par coutume, et Maure en effet. Elle se confessoit pourtant souvent, mais plutôt des péchés de ses maîtres que des siens ; et comme elle entretenoit bien plus son confesseur du mal qu’elle avoit à servir que de ses défauts, et lui faisoit bien valoir sa patience, son confesseur qui étoit un saint homme, et qui jugeoit des autres par lui-même, la croyoit sur sa parole, et la louoit au-lieu de la reprendre ; ainsi qui eût été assez ptès de ma mére quand elle se confessoit, n’eût entendu que des louanges de part et d’autre. Vous êtes peut-être en peine de savoir comment je suis informée d’un secret si particulier, et vous pouvez bien penser que ce n’est pas de ma mére que je le sai ; mais je suis fort curieuse de mon