Page:Scarron - Oeuvres T3, Jean-François Bastien 1786.djvu/301

Cette page n’a pas encore été corrigée

aux autres. Le marquis de Villefagnan se frappa alors la cuisse du plat de sa main, et tirant un grand soupir de sa poitrine : Plaîse à dieu que je me trompe, s’écria-t-il ! voici quelque nouvelle jeunesse, ou plutôt quelque folie de mon neveu. Achevez, madame, achevez, et pardonnez-moi si je vous ai interrompue. La vieille se remit à pleurer au-lieu de répondre, et Héléne prit la parole : puisque vous savez par expérience, dit-elle, que votre neveu est esclave de ses passions, et que vous avez eu souvent à faire cesser le bruit de ses violences, vous ne ferez pas difficulté de croire celle qu’il m’a faite. Quand vous l’envoyâtes à Léon le printems passé, il me vit dans une église, et me dit d’abord des choses telles que si elles eussent été vraies, nous n’avions l’un et l’autre qu’à demeurer, de peur de la justice, dans cette église, moi comme son assassine, et lui comme un homme mort et prêt à mettre en terre. Il me dit cent fois que mes yeux l’avoient tué, et n’oublia pas la moindre flaterie de celles dont les amans se servent pour abuser de la simplicité d’une fille. Il me suivit jusqu’en mon logis, passa à cheval devant mes fenêtres, tous les jours et toutes les nuits y fit entendre des musiques. Enfin, voyant que toutes ses promesses amoureuses ne lui servoient de rien, il gagna par des présens une esclave Nègre, à qui ma mére avoit promis sa liberté, et par son conseil me surprit dans un jardin que nous avions dans le fauxbourg de la ville. Je n’avois avec moi que l’esclave infidéle ; il étoit accompagné d’un homme aussi méchant que lui, et il avoit donné de l’argent au jardinier pour le faire aller à l’autre bout de la ville, sous prétexte d’une affaire importante. Que vous dirai-je davantage ? il me mit son poignard à la gorge ;