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qu’elle avoit connu de ce pays-là, elle n’en avoit point vu de si bien fait et de si accompli que lui. Ce fut-là le dernier coup de lime qui l’acheva. Cependant il fallut se retirer. Elle invita elle-même l’insensé de la ramener chez elle, et il ne faut pas demander si elle ne lui donna pas la main plutôt qu’à un autre. Il sentoit des tressaillemens de joie, qui lui faisoient faire de tems en tems des actions de fou, et il concluoit en lui-même qu’il ne falloit jamais désespérer dé sa bonne fortune, quelque misérable que l’on fut. Héléne étant arrivée dans sa chambre, lui fit donner le meilleur siège. Il étoit si étourdi de son bonheur, que s’étant voulu asseoir avant d’être en mesure, il avoit donné du cul en terre, répandu son manteau, son chapeau, et ses gants par la place, et s’étoit quasi percé le corps de son poignard, qui étoit sorti du fourreau lorsqu’il tomba. Héléne l’alla relever, faisant la furieuse comme une tigresse à qui on a enlevé ses petits ; elle ramassa son poignard, et lui dit qu’elle ne pouvoir souffrir qu’il le portât le reste du jour, après le péril qu’il lui avoit fait courir. Le page rassembla tout le débris de son naufrage, et fit plusieurs mauvais complimens accommodés au sujet. Cependant Héléne faisoit semblant de ne pouvoir se remettre de la frayeur qu’elle avoit eue, et se mit à admirer la beauté du poignard. Le page lui dit qu’il venoit de chez son vieux maître, qui l’avoit autrefois donné à son neveu avec l’épée et la garniture assortie, et qu’il l’avoit choisie ce jour-là entre plusieurs autres, qui étoient dans la garderobe de son maître, pour se parer dans ce jour de fête public. Héléne fit esperer au page qu’elle pourroit bien aller déguisée voir de quelle façon les personnes de condition se marioient à Tolède. Le page lui dit que la cérémonie