Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/76

Cette page n’a pas encore été corrigée

 belle qui m’avez blessé,
Bien plus que je n’eusse pensé,
S’il plaisait à la destinée
Que vous fussiez femme d’Enée,
Je le jure par Mahomet,
Quoiqu’on dise fou qui s’y met,
Pour une épouse tant jolie,
Je laisserais là l’Italie,
Planterais ici mon piquet
Sans craindre des gens le caquet,
Et pourrais fort bien mettre en pièces
Ceux qui feraient de moi des pièces"
Cependant qu’il raisonne ainsi,
Les beaux conviés sans souci
A manger faisaient des merveilles.
Chacun vida plusieurs bouteilles
Et branla si bien le menton,
Tant sur le veau que le mouton,
Qu’il ne resta rien sur la table
Qui fût d’homme de bien mangeable ;
Si quelque os encore resta,
En levant les plats, on l’ôta.
On mit sur table une bouteille :
A son aspect on s’émerveille ;
Aeneas dit une chanson,
Et sans attendre un échanson
Lui-même emplit de vin sa coupe,
Puis à la santé de la troupe
Mit le tout dans son estomac.
Didon demanda du tabac,
Mais elle n’en prit pas deux pipes,
Qu’elle ne vidât jusqu’aux tripes,
Et ne s’en offusquât l’esprit,
Mais un peu de vin qu’elle prit
Ayant dissipé la fumée,
Elle dit, la face enflammée :
 « Qu’on me donne mon gobelet. »
Aussitôt dit, un beau valet
Mit ce gobelet vénérable
Avec grand respect sur sa table.
Bélus