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Cette cruelle inquiétude
Qui le tient dans l’incertitude,
Le fait ressembler à de l’eau
Quand elle est dans quelque vaisseau,
Ou cuve d’airain bien fourbie :
Cette eau dont la cuve est remplie,
Quand le soleil, flambeau major,
Ou la lune, flambeau minor,
Enfin l’un des deux la regarde,
D’une lumière frétillarde
Eclaire les planchers, les murs,
Visite les lieux plus obscurs,
Et cette lumière volante
Remue au gré de l’eau flottante ;
Ainsi de messire Aeneas
L’esprit ne se repose pas.
La nuit vint, taciturne et sombre,
Et mit toutes choses à l’ombre
Des animaux les uns causaient,
Les autres endormis gisaient ;
Les uns disaient leurs patenôtres,
Les autres en engendraient d’autres ;
Pour maître Aeneas, il rêvait,
Ou, pour mieux parler, endêvait,
Triste et pensif, la mine grise,
Comme un amant que l’on méprise,
Et chantant sans vouloir chanter,
Ce qui vaut autant que pester.
Son Altesse mélancolique,
Aux bords du Tibre pacifique,
Mais qui se dépacifiqua
Du jour que Turnus se piqua,
Faisait des châteaux en Espagne,
Songeant s’il prendrait la campagne,
Ou si, dans son fort enfermé,
A force de soldat armé,
De meurtres et de brigandages,
Il se ferait par les villages
Contribuer suffisamment
De quoi vivre commodément.