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Sa richesse et sa prud’homie
Son trépas n’empêchèrent mie.
Tandis qu’ainsi de toutes parts
Dagues, piques, flèches et dards,
Aux gens de Troie et d’Italie
Servent à passer leur folie,
Alecton, voyant si beau jeu,
Ne s’en réjouit pas un peu,
Mais autant que le pouvait faire
Dame d’Enfer qui ne rit guère
Toute fière elle s’en alla
Trouver Junon, et lui parla
Ainsi que vous l’allez entendre :
"Madame, je viens de vous rendre
Ce que je vous devais, et plus.
Les Dardaniens dissolus
Ont voulu manger d’une bête
Qui leur fera rompre la tête ;
Entre eux et le peuple latin,
Malgré les arrêts du Destin,
J’ai semé tant de zizanie
Que de longtemps la Lavinie
Ne sera mise entre les bras,
En même lit et mêmes draps
De votre ennemi maître Enée.
Dame Aimée est alectonée,
C’est-à-dire que dans sa peau
Elle a de diables un troupeau,
Et le Turnus, comme la reine,
A de diables la tête pleine,
Et les manants ont, comme eux deux,
Chacun au corps un diable ou deux.
Regardez, pour vous satisfaire,
Ce qui me reste encore à faire."
Junon, riant à tout cela,
Répondit : "Demeurons-en là,
De peur qu’à mon mari qui frappe
La patience enfin n’échappe,
Et que son naturel frappeur
Ne change en coup de poing ma peur ;