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Que de voir les soldats d’Énée
Passant gaiement la journée
Comme ils tâchaient de faire alors,
Riant et se traitant le corps,
Parce qu’à la troupe envoyée
On avait la paix octroyée,
Et de plus à leur bon seigneur
Une pucelle en tout honneur.
Leurs nefs, à sec sur le rivage,
Ne craignaient plus vent ni naufrage ;
Loin de songer plus à nager,
Ils travaillaient à se loger,
Dont Junon, plus qu’à demi morte,
Se mit à parler de la sorte :
"Bon, messieurs les Troyens, bon, bon
Loin d’être réduits en charbon
Comme votre ville de Troie,
Vous n’avez que plaisir et joie,
Et moi j’enrage de bon cœur,
Moi de Jupiter femme et sœur !
Ont-ils pas leurs peaux garanties
Du feu de leurs maisons rôties,
Et dans leur ville prise pris,
Les ai-je vendus à vil prix ?
Enfin les ai-je pu détruire ?
Ma foi, je n’ai fait que leur nuire,
Et ne leur ai nui que si peu
Qu’ils en tournent la chose en jeu.
Ne les vois-je pas, sur le Tibre,
Qui vont tranchant du peuple libre,
Et leur grand lourdaud d’Aeneas,
Qui va faisant le Fierabras,
Faisant des forts, traçant des lignes ?
Ah ! ma foi, mon beau Jean des Vignes,
Si je laissais hausser vos forts,
Vous iriez croire que je dors !
Je vous vais montrer que je veille ;
Je vous vais faire à la pareille
Enrager votre chien de soûl.
Il faut se défier d’un fou :