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Et qui fronde en diable et demi
Quand il lui vient quelque ennemi.
Mais, devant qu’aller à la guerre,
Il vous faut aller dessous terre
Visiter le royaume noir,
De messer Pluton le manoir :
Là, vous verrez votre bon père
Qui vous fera fort bonne chère,
Car je ne suis pas un damné
De mille feux environné ;
Mais dans les beaux champs Elysées,
Où les âmes canonisées
Passent le temps fort plaisamment,
Je tiens un bel appartement.
En ces lieux madame Sibylle,
Que chacun croit comme Evangile,
Vous mènera droit comme un fil.
Lors j’exercerai mon babil
Sur votre généalogie,
Que je sais par cœur sans magie.
Mais une ombre ne peut tenir
Contre le jour qui va venir ;
Le soleil levant, qui me lorgne,
M’a rendu quasi d’un oeil borgne :
Devant que l’autre en ait autant,
Je me retire en clignotant."
Lors se perdit madame l’ombre
Dedans l’air encore un peu sombre ;
Aeneas, avec grand effroi,
S’écria : « Que l’on vienne à moi »
Puis, sa frayeur étant passée
Et sa hongreline endossée,
Il dit (mais il n’était plus temps) :
"Mon cher père, je vous attends ;
Revenez, je vous en conjure !
Ah ! vous avez l’âme bien dure
De me visiter pour si peu."
Puis, voulant allumer du feu
Qu’il avait caché sous la cendre,
Le bon seigneur, au lieu de prendre