Page:Scarron - Le Virgile travesti, 1889.djvu/300

Cette page n’a pas encore été corrigée

Son visage de pleurs couvert :
"Nous voilà donc tous pris sans vert !
Cria-t-il au bon Palinure.
— Oui, répondit-il, je vous jure,
Quand Jupin même le voudrait,
Tout dieu qu’il est il ne pourrait,
Nous conduisît-il en personne,
Par ce diable de vent qui donne,
Nous mener où nous prétendons
Faire mourir tant de dindons.
Quant à moi, si l’on me veut croire,
Plutôt qu’être contraints de boire
Plus que nous n’avons de besoin,
La Sicile n’est pas trop loin
Où le brave Acestes demeure :
Je suis d’avis que tout à l’heure,
Sans lutter contre mer et vent,
Ce qui perd les gens bien souvent,
Nos vaisseaux y tournent les proues."
Aeneas, essuyant ses joues
De la manche de son pourpoint
(Car de mouchoir il n’avait point),
Dit : "Il faut croire le pilote,
Car il voit bien que notre flotte
Contre ces démons inconstants
Pourrait fort mal passer son temps.
Pires que mauvaises haleines,
Vents, de vos injustes fredaines
Je serai donc toujours le but ?
Et, comme un homme de rebut,
La mer donc toujours sur ses côtes
De mes nefs brisera les côtes ?
En Sicile donc, de par Dieu !
Il n’est point sur la terre un lieu
Que plutôt je choisisse et prise,
Excepté la terre promise,
Que celle qu’Acestes régit,
Où feu mon père Anchise gît,
Vieillard qui valait un jeune homme.
Cà donc, amis, travaillons comme