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Ils en veulent, les basanés,
A nos oreilles et nos nez.
Faisons donc de ramer merveilles,
Pour nos nez et pour nos oreilles :
Plutôt que d’en être perclus,
J’aimerais mieux ne vivre plus.
Ces nez plats, ces puants de Maures,
Sont de dangereuses pécores,
Et Didon même ne vaut rien,
Quoiqu’elle m’ait voulu du bien.
Allons donc, mes amis, courage,
Eloignons ce fâcheux rivage,
Gagnons la mer encore un coup ;
Il nous importe de beaucoup,
Puisqu’on en veut à notre vie :
Quand elle nous sera ravie
Par ces Africains forcenés,
Nous serons les plus étonnés."
Cela dit, son maître pilote
Donna le signal à la flotte ;
Puis, d’un fourreau de maroquin
Tirant son glaive damasquin,
Aeneas en coupa le chable
De l’ancre fiché dans le sable,
Et les autres chefs l’imitant,
C’est-à-dire en faisant autant,
Les vaisseaux en mer s’élargirent,
Les flots de vaisseaux se couvrirent,
Et l’on ne vit plus dans le port
Que vaisseaux qui prenaient l’essor.
Alors l’Aurore violette
Laissa dans sa couche mollette
Le vieux Tithon, un maître fou
De s’être enchevêtré le cou,
Si vieil, d’une si jeune femme.
C’est une fort honnête dame,
Qui, tous les matins, de ses pleurs
Emperle, ce dit-on, les fleurs.
Lorsque la rive basanée
Fut d’elle tout ensafranée