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Si j’avais prévu ce malheur,
J’aurais pouvoir sur ma douleur ;
Mais maintenant elle est trop forte,
Le fort sur le faible l’emporte.
Je l’aime, le traître qu’il est ;
L’ingrat m’assassine, et me plaît,
Et d’autant plus que je l’adore,
D’autant plus que le méchant m’abhorre.
Cours donc, ma sœur, va-t’en le voir ;
En toi seule est tout mon espoir.
Je me serais déjà pendue,
Mais l’heure encore en est indue,
Car je n’aurai, s’il t’en souvient,
Que trente ans à Noël qui vient.
O ma sœur fais-lui bien comprendre
Comme Ronsard dit à Cassandre,
Qu’à moins que Dolope soudard,
Où cil dont l’homicide dard
Mit Hector dans la sépulture,
Il devrait être, le parjure,
Plus reconnaissant à Didon.
Bon, si les peuples de Sidon
Avaient secouru ceux d’Aulide,
Il aurait raison le perfide ;
Ou bien si j’avais dispersé
Les os d’Anchise trépassé !
Mais, hélas ! toute mon offense
Est d’avoir avec violence
Aimé ce mauvais garnement,
Qui ne m’aima que froidement.
Ou, pour parler mieux, cet infâme
Qui me haïssait en son âme,
Et qui ne veut pas m’écouter,
Moi, qui ne le veux arrêter
Que pour une saison meilleure ;
Après, qu’il aille, à la bonne heure,
Chercher son beau pays latin ;
Qu’il aille suivant son destin,
Recevoir quelque plaie ou bosse,
Je ne lui parle plus de noce :