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Ne sait quasi ce qu’elle dit,
Et tout le monde en étourdit.
Elle veut dire quelque chose,
La commence, achever ne l’ose,
Ouvre la bouche et ne dit mot,
Tout de même que fait un sot ;
Et puis elle le mène boire,
Lui fait redire son histoire,
S’enchevêtre de plus en plus,
Le mange avec des yeux goulus,
Sur tout ce qu’il dit se récrie,
Sans pouvoir cacher sa furie.
Mais, quand il se faut séparer,
Qu’il est temps de se retirer,
Lorsque la reine des étoiles,
La nuit, avec ses sombres voiles,
A tout couvert notre horizon,
Le diable est bien à la maison.
Quand elle se voit toute seule,
Elle soupire, elle s’égueule
A force de pousser ses cris,
Tant le trouble est dans ses esprits.
Elle entretient, la forcenée,
Absente, son absent Enée ;
Elle parle et répond pour lui,
Afin de flatter son ennui :
Elle n’en est point entendue,
Car il dort, la cuisse étendue,
Sans se soucier si Didon
Passe une bonne nuit ou non.
Quand le jeune Ascagne elle attrape,
Comme ayant peur qu’il ne s’échappe,
Elle le met entre ses draps,
Et le serre entre ses deux bras,
Essayant par cette finesse
D’adoucir le mal qui la blesse :
Ah ! vraiment c’est un bon vieux tour
Contre un dieu fin comme l’Amour !
Cependant tout ouvrage cesse,
On se débauche, et la jeunesse