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Et que nous étions Phrygiens,
Il s’écria : « J’en tiens, j’en tiens »,
Et voulut retourner arrière ;
Mais, suivant sa route première,
Il vint en tremblant devant nous,
Et, se mettant à deux genoux,
Il nous dit d’une voix cassée,
D’un débile estomac poussée,
Ces tristes mots en son patois :
"O Troyens nobles et courtois,
Par les puissances souveraines,
Par vos parrains, par vos marraines,
Par ce que vous avez de cher,
Epargnez, de grâce, ma chair.
Il est vrai, ma race est grégeoise :
Si c’est assez pour avoir noise
Avec vous, aux Grecs courroucés,
Dépecez mon corps, dépecez ;
De bon cœur je vous l’abandonne,
Et veux que Dieu vous le pardonne.
Je vous serai trop obligé
De n’être pas tout vif mangé,
Car, hélas ! en cette île étrange,
Même sans sel les gens on mange."
Il nous dit ces mots en pleurant,
Serrant mes genoux, m’adorant.
Je lui dis qu’il eût bon courage,
Qu’il nous déclarât son village,
Son nom, sa fortune, et par où,
Pour faire ainsi le loup-garou,
Il se trouvait dans la Sicile.
Mon père, dont l’âme est civile.
Autant que celle d’un trompeur,
L’exhorta de n’avoir point peur,
Et dit qu’on lui donnât à boire,
Du pain, du fromage, une poire.
A ces mots, le pauvre étranger
Fut vu visiblement changer,
Et reprendre un peu son visage
Et puis il nous tint ce langage,