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Pas plus tard que le lendemain,
Au départ chacun mit la main,
Et notre ville commencée
Sans regret d’aucuns fut laissée ;
Nous y laissâmes néanmoins
Ceux de nous qui valaient le moins,
Et qui n’étaient parmi les nôtres
Que l’incommodité des autres.
Nous voilà donc encor en mer
Derechef réduits à ramer.
Quand nous fûmes loin du rivage,
Sans plus voir ville ni village,
Mais seulement le ciel et l’eau,
Logés en un frêle vaisseau,
Chacun de nous, en sa pensée,
Regretta la terre laissée,
Car la mer ordinairement
Est un dangereux élément.
Qu’ainsi ne soit, sur notre tête
Je vis grand signe de tempête,
Un air épais qui s’amassait,
Et notre flotte menaçait.
Le menace ne fut point vaine :
En un instant l’humide plaine,
De pacifique qu’elle était,
Par un grand vent qui l’agitait,
Vit changer ses vagues enflées
En plusieurs montagnes salées
Le jour tout à coup devint nuit,
Le tonnerre fit un beau bruit ;
Nos pauvres vaisseaux en déroute,
Sans pouvoir connaître leur route,
Furent jetés qui çà, qui là.
L’onde avec le ciel se mêla.
Le bon pilote Palinure,
Comme un chartier embourbé, jure
Qu’il est au bout de son latin.
Trois jours cet orage mutin,
Et trois nuits, berna nos navires :
Je n’en ai point passé de pires,