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Aux champs, de l’un à l’autre bout,
Les chenilles mangèrent tout.
Du soleil la terre embrasée
Faute de pluie et de rosée
Se fendit en plusieurs endroits.
Les arbres, dans les vallons froids,
Comme en la plaine découverte,
Perdirent leur perruque verte,
Et dans les jardins tout fut cuit :
Point de champignons, point de fruit,
Car la terre sèche et brûlante
Ne produisit herbe ni plante.
Enfin, par la peste et la faim,
Sans vins, sans eau, sans chair, sans pain,
Notre maudite destinée
S’en allait être terminée,
Et, dans ce malheureux climat,
Nous recevions échec et mat.
Mon père, le prudent Anchise,
Mouillant de pleurs sa barbe grise,
De regret de finir ses jours,
Nous exhorta, par un discours
Aussi triste qu’une élégie,
De retourner dans Ortygie
Pour y prier le blond Phébus
De nous vouloir tirer d’abus
Et, sans barguigner, nous apprendre
Si nous n’avions plus qu’à nous pendre,
Ou dans quelle contrée enfin
Nos infortunes prendraient fin.
La nuit brune, sœur d’un bon frère,
Avait noirci notre hémisphère :
Tout dormait en cet univers,
Excepté les faiseurs de vers,
Les sorciers, noueurs d’aiguillettes,
Les chats-huants et les chouettes,
Les plaideurs et les loups-garous,
Les amoureux et les filous.
J’étais couché mal à mon aise
Entre la puce et la punaise.