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Me firent garder le mulet ;
Enfin pourtant un gros valet
Me vint ouvrir, malgré la bande ;
A qui je fis la réprimande.
Mais ma femme, pour m’apaiser,
Et mon fils me vinrent baiser.
Je dis à monseigneur mon père
Tout ce que m’avait dit ma mère,
Et qu’il fallait gagner pays
Il nous rendit tous ébahis,
Quand il dit : "Pour moi je demeure,
Allez-vous-en, à la bonne heure,
Vous autres, dont les jeunes ans,
Après des malheurs si pesants,
Pourront, autre part que dans Troie,
Se donner encore au cœur joie.
Si le ciel m’eût voulu sauver,
Qui l’empêchait de conserver
Une ville si belle et bonne ?
Mais, puisque le ciel l’abandonne,
Et qu’Ilium, des Grecs pillé,
N’est plus rien qu’un champ tout grillé,
Vieillard plus que sexagénaire,
Il ne me reste rien à faire
Que d’aller, l’épée à la main,
Irriter un Grec inhumain,
Qui sur mon pauvre corps s’acharne ;
Et peut-être que quelque darne
De son corps il y laissera.
Chacun fera comme il pourra.
On me dira : Sans sépulture,
Votre corps sera la pâture
De quelque chien, ou quelque loup.
La peste, que le monde est fou !
Que m’importe que ma carcasse
A la faim d’un loup satisfasse,
D’un chien, d’un vautour, d’un corbeau ?
Mon destin sera-t-il plus beau
Si, dans du linge empaquetée,
Elle est par les vers grignotée ? "