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marine.

Est-ce lui qui le dit, il ne faut pas l’en croire ;
Un inconnu peut bien nous forger une histoire.

léonore.

Tu n’en douteras plus quand je t’aurai conté
Par quel moyen je sais quelle est sa qualité :
Te souvient-il du jour que du prochain village,
Le peuple dans Orgas vint en pélerinage ?
Te souvient-il aussi de ces deux courtisans
Qui se vinrent mêler parmi nos paysans,
Dont l’un étoit fort jeune et de fort bonne mine ?

marine.

Il m’en souvient fort bien, et que sur la poitrine
Il portoit la croix rouge, et même qu’il vous prit
Par deux fois à danser ; son compagnon me fit
Mille discours en l’air ; le fils du vieux Ramire
En fut jaloux de vous, et vous en fit bien rire ;
Pourquoi m’en faites-vous aujourd’hui souvenir ?
Je ne vois pas encor où vous voulez venir.

léonore.

Quoi, tu ne le vois pas ! as-tu des yeux, Marine ?

marine.

J’en ai, mais je ne suis sorciére ni devine.

léonore.

Je ne le suis non plus que toi : mais toutefois,
J’ai mieux connu que toi, que celui que tu vois
En habit d’écolier, et dont je suis éprise,
Est le beau courtisan qui pour moi se déguise ;
Dès le jour qu’il parut dans notre bourg d’Orgas
Je le reconnus bien, et ne me trompai pas :
Mais ce n’est pas encor sur cela que j’assure
Le fondement certain de cette conjecture ;
Une lettre rompue, et qui s’adresse à lui,
De sa poche est tombée à mes yeux aujourd’hui ;
Soit qu’il n’en sache rien, comme cela peut être,
Ou qu’il ait fait le coup pour se faire connoître ;