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D’UN LIÈVRE.

antérieure les Hommes aient eu à se plaindre des Lièvres, car un pareil acharnement ne peut s’expliquer que par un légitime besoin de vengeance ; et, me tournant vers ma maîtresse, j’implorai du regard sa protection. Je vis alors sur sa figure une épouvante égale à la mienne. Déjà je me disposais à la remercier de la pitié que semblait lui inspirer le malheur de mes frères, quand je m’aperçus que sa frayeur était toute personnelle, et qu’elle songeait beaucoup à elle-même et fort peu à nous.

Ces coups de fusil, dont chaque détonation me faisait figer le sang dans les veines, les Hommes ne les tiraient pas sur des Lièvres, mais bien sur d’autres Hommes. Je me frottai les yeux, je me mordis les pattes jusqu’au sang pour m’assurer que je ne rêvais pas et que j’étais éveillé : je puis dire comme Orgon, que je l’ai vu,

. . . . . . . . . . . de mes propres yeux vu,
Ce qu’on appelle vu.

Le besoin que les Hommes ont de chasser est si grand, qu’ils aiment mieux se tuer que de ne rien tuer du tout.

— Ce que vous me contez là n’a rien d’étonnant, lui dis-je. Combien de fois, à la nuit tombante, n’ai je pas eu à essuyer le feu des chasseurs dont la manie est de décharger sur nous autres Pies leur dernier coup de fusil, pour ne pas perdre leur poudre ! disent-ils ; et pourtant nous ne passons pas pour être bonnes à manger. Les lâches !