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D’UN LIÈVRE.

prisonniers, et, ne sachant ce que j’allais devenir, je m’abandonnai à d’amères réflexions. Je me sentais ballotté par des secousses régulières très-incommodes, lorsque l’une d’elles, plus forte que les autres, ayant fait entr’ouvrir le couvercle de mon cachot, je pus m’apercevoir que l’Homme, au bras duquel il était suspendu, ne marchait pas, et que pourtant un mouvement rapide nous emportait. Vous qui n’avez rien vu encore, vous aurez peine à le croire ; mais mon ravisseur était monté sur un Cheval ! C’était l’Homme qui était dessus, c’était le Cheval qui était dessous. Cela dépasse la raison animale. Que j’aie obéi plus tard à un Homme, moi, pauvre Lièvre, on le comprend. Mais qu’un Cheval, une créature si grande et si forte, qui a des sabots de corne dure, consente à se faire, comme le Chien, le domestique de l’Homme, et à le porter lâchement, voilà ce qui ferait douter des nobles destinées de l’Animal, si l’espoir d’une vie future ne venait nous soutenir, et si, du reste, le doute changeait quelque chose à l’affaire.

Mon ravisseur était un des laquais du roi, de ce roi de France, que l’histoire impartiale devra flétrir de l’odieux surnom du plus grand chasseur des temps modernes.


À cette énergique exclamation du vieillard, je ne pus m’empêcher de penser que si dure qu’elle fût, cette malédiction n’était point injuste, et que les faits prouvaient éloquemment que Charles X n’avait vraiment pas su se faire aimer des Lièvres.