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VOYAGE D’UN LION D’AFRIQUE

incommensurable qui sépare un châle français, vert américain, d’un châle des Indes vert-pomme ! une vraie guipure d’une fausse, une démarche hasardeuse d’un maintien convenable ! Au lieu des meubles en ébène enrichis de sculptures par Janest qui distinguent l’antre de la Lionne, le Rat n’a que des meubles en vulgaire acajou. Le Rat, Sire, loue une remise, la Lionne a sa voiture ; le Rat danse, et la Lionne monte à cheval au bois de Boulogne ; le Rat a des appointements fictifs, et la Lionne possède des rentes sur le grand livre ; le Rat ronge des fortunes sans en rien garder, la Lionne s’en fait une ; la Lionne a sa tanière vêtue de velours, tandis que le Rat s’élève à peine à la fausse perse peinte. N’est-ce pas autant d’énigmes pour Votre Majesté, qui de littérature légère ne se soucie guère, et qui veut seulement fortifier son pouvoir ? Ce détaché, comme l’appelle Monseigneur, nous a parfaitement expliqué comment ce pays était dans une époque de transition, c’est-à-dire qu’on ne peut prophétiser que le présent, tant les choses y vont vite. L’instabilité des choses publiques entraîne l’instabilité des positions particulières. Évidemment ce peuple se prépare à devenir une horde. Il éprouve un si grand besoin de locomotion, que depuis dix ans surtout, en voyant tout aller à rien, il s’est mis en marche aussi : tout est danse et galop ! Les drames doivent rouler si rapidement qu’on n’y peut plus rien comprendre ; on n’y veut que de l’action. Par ce mouvement général, les fortunes ont défilé