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SOUVENIRS D’UNE VIEILLE CORNEILLE.

penché sur l’abîme, quand il fut arrêté par une réflexion. Lorsqu’il s’agit de la mort, il est permis d’y regarder à deux fois, et il faut être bien certain, quand on se noie, qu’on a de bonnes raisons pour le faire.

Il relut, pour la cent et unième fois, la lettre de madame la Duchesse ; et cette lettre, à sa grande satisfaction, lui parut moins claire que jamais. « Diable ! se dit-il, ce qu’il y a de plus clair dans tout ceci, c’est que madame la Duchesse a quitté la terrasse. Mais qui me dit qu’elle n’y reviendra pas, et qu’elle a cessé d’être digne d’y revenir ? Rien, absolument rien. Elle-même refuse de s’expliquer. Ce voyage ne peut-il être un voyage d’agrément, et avoir pour but une visite à une autre Chouette de génie comme elle ; ou une retraite de quelques jours dans quelque coin poétique, pour s’y livrer complétement à la méditation, qu’affectionnent les âmes d’élite comme la sienne ? — Et encore ne peut-elle être morte ?

Le cœur d’un Hibou a d’étranges mystères. Cette dernière hypothèse lui souriait presque : il l’eût voulue morte, plutôt que parjure.

— Parbleu ! dit-il, voyez où nous entraîne l’exagération. Et il fit gravement quelques tours sur la rive, en s’applaudissant de n’avoir pas cédé à un premier mouvement.

Mais, au bout de quelques moments, il sentit bien que la consolation qu’il avait essayé de se donner n’était pas de bon aloi. Son cœur n’avait pas cessé d’être serré ; et, voulant mettre fin à ses incertitudes, il résolut de consul-