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Mr  LE DUC ET Mme  LA DUCHESSE (suite).

venait de lui manquer. Il avait tout perdu en perdant la compagne de sa vie ; et quand il sortit de sa stupeur, ce fut pour appeler à grands cris l’ingrate qui le fuyait, quoiqu’il la sût déjà bien loin ; puis, bien qu’il n’eût été que trompé, il se crut déshonoré, et s’en alla au bord de l’eau, comme doit le faire tout Hibou désespéré, pour voir si l’envie ne lui viendrait pas de s’y jeter et de se noyer ainsi avec son chagrin.

Arrivé là, il regarda d’un air sombre l’eau profonde, et y trempa son bec… pour la goûter d’abord. La lune s’étant alors dégagée d’un nuage qui avait caché son croissant, il se vit dans l’eau comme en un miroir magique, et fut effrayé du désordre de sa toilette. Machinalement, et pour obéir à une habitude de recherche que lui avait fait prendre l’ingrate pour laquelle il allait mourir, il rajusta avec soin celles de ses plumes qui s’étaient le plus ébouriffées, et trouva quelque charme dans cette occupation. Il lui semblait doux de mourir paré comme aux jours de son bonheur, paré de la parure qu’elle aimait.

Il songea aussi un instant à faire, avant de quitter la vie, une ballade à la lune, qu’il prit à témoin de ses infortunes ; à la lune, l’astre favori de son infidèle, et aux nuées, vers lesquelles l’esprit de sa femme s’était si souvent envolé. Mais tous ses efforts furent inutiles, et il comprit qu’on ne saurait pleurer en vers que les peines qu’on commence à oublier.

Voyant bien qu’il n’avait plus qu’à mourir, il s’était déjà