Page:Scènes de la vie privée et publique des animaux, tome 1.djvu/544

Cette page a été validée par deux contributeurs.
342
SOUVENIRS D’UNE VIEILLE CORNEILLE.

ou pas le moindre bruit, tout était pour elle prétexte à émotion. Elle ne poussait plus que de petits cris, faibles, mal articulés, inintelligibles. Tout cela, selon elle, c’était la distinction. Les yeux sans cesse fixés sur la pâle lune, ce soleil des cœurs sensibles, comme elle disait ; sur les étoiles, ces doux yeux de la nuit, si chers aux âmes méconnues, elle s’écriait, avec un philosophe chrétien : Qu’on ne saurait être bien où l’on est, quand on pourrait être mieux ailleurs. Aussi, pour cette Chouette éthérée, l’air le plus pur était trop lourd encore ; elle détestait le soleil, ce Dieu des pauvres, disait-elle, et ne voulait du Ciel que ses plus belles étoiles ; c’était à grand’peine qu’elle daignait marcher elle-même, respirer elle-même, vivre elle-même et manger elle-même. Pourtant, elle mangeait bien, pesait dix livres, et dans le même temps qu’elle affectait une sensiblerie ridicule, au point qu’elle ne pouvait, disait-elle, voir la vigne pleurer sans pleurer avec elle, on aurait pu la surprendre déchirant sans pitié, de son bec crochu, les chairs saignantes des petites Souris, des petites Taupes et des petits Oiseaux en bas âge. — Elle se posait en Chouette supérieure, et n’était qu’une Chouette ridicule.

Son mari, émerveillé des grandes manières de sa Chouette adorée, s’épuisait en efforts pour s’égaler à elle. Mais dans une voie pareille, quel Hibou, quel mari ne resterait en chemin ? Aussi, malgré son envie, fut-il toujours loin de son modèle ; si loin, ma foi, que madame la Duchesse, qui était parvenue à oublier l’humilité de sa propre