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SOUVENIRS D’UNE VIEILLE CORNEILLE.

de la douleur et de l’amour de la pauvrette ; mais notre Lézard, qui était honnête, ne songea pas un instant à nier cette douleur parce qu’il ne l’avait jamais ressentie ; il songea encore moins à en abuser. Il fut si étourdi de ce qu’il venait d’entendre, qu’il ne sut d’abord que répondre, car il sentait bien que de sa réponse dépendait la vie ou la mort de la Lézarde.

Il réfléchit un instant.

— Je ne veux pas te tromper, lui dit-il, et pourtant je voudrais te consoler. Je ne t’aime pas, puisque je ne te connais pas, et je ne sais pas si je t’aimerai quand je te connaîtrai, car je n’ai jamais pensée aimer une Lézarde. Mais je ne veux pas que tu meures.

La Lézarde avait l’esprit juste ; si dure que fût cette réponse, elle trouva qu’une si grande sincérité faisait honneur à celui qu’elle aimait. Je ne sais ce qu’elle lui répondit. Peu à peu le Lézard s’était rapproché d’elle, et ils s’étaient mis à causer si bas, si bas, et leur voix était si faible, que c’était à grand’peine que je pouvais saisir de loin en loin quelques mots de leur conversation : tout ce que je puis dire, c’est qu’ils parlèrent longtemps, et que, contre son ordinaire, le Lézard parla beaucoup. Il était facile de voir à ses gestes qu’il se défendait, comme il pouvait, d’aimer la pauvre Lézarde, et qu’il était souvent question du soleil qui, en ce moment, brillait au ciel d’un éclat sans pareil.

D’abord la Lézarde ne disait presque rien ; c’est aimer peu que de pouvoir dire combien l’on aime, et, pendant