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SOUVENIRS D’UNE VIEILLE CORNEILLE.

jamais vu de Lézard de meilleure mine. Mais qu’y faire, et comment épouser un Lézard qui ne veut pas qu’on l’épouse ? La plupart avaient porté leur cœur ailleurs.


III.


Le plus beau Lézard du monde ne peut donner que ce qu’il a, et ce qu’on a donné une fois on ne l’a plus. Or, le plus beau Lézard du monde avait donné son cœur, et donné sans réserve. Voilà ce que personne ne savait, et lui-même n’en savait pas plus que les autres. Cet amour lui était venu sans qu’il s’en aperçut : c’est ainsi que l’amour vient quand il doit rester ; et il était entré si avant dans ce cœur bien épris, que, l’eût-il voulu, il n’y aurait pas eu moyen de l’en faire sortir. Voilà comme on aime quand on aime bien, et quand on a raison d’aimer ce qu’on aime.

Vous lui eussiez dit qu’il était amoureux que vous l’eussiez blessé et qu’il ne vous eût pas cru. Amoureux, lui ! dites dévoué, dites reconnaissant, dites respectueux, dites religieux, dites pieux, ou plutôt faites un mot tout à la fois plus grand et plus simple, plus chaste et plus pur que tous ces mots, un mot tout exprès. Mais amoureux ? il ne l’était pas ; il n’aurait osé, ni voulu, ni daigné, ni su l’être.

Aimer et rien qu’aimer, c’est bien peu dire ! — Peut-être si ce mot n’eût été, comme tant d’autres mots de notre langue, gâté et profané, eût-il laissé dire qu’il adorait ce qu’il aimait ; mais à coup sûr le plus humble silence pou-