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SOUVENIRS D’UNE VIEILLE CORNEILLE.

Du reste, on ne saurait être plus simple et plus naïf que ne l’était ce roi des Lézards. — Comme un Kardouon célèbre[1], il aurait été de force à prendre des louis d’or pour des ronds de carotte. Ceci prouve qu’il avait toujours vécu loin du monde.

Je me trompe, une fois, mais une fois seulement, il avait eu l’occasion d’aller dans le monde, dans le monde des Lézards bien entendu, et quoique ce monde soit cent fois moins corrompu que le monde perfide des Serpents, des Couleuvres et des Hommes, il jura qu’on ne l’y reprendrait plus, et n’y resta qu’un jour qui lui parut un siècle.

Après quoi il revint dans sa chère solitude, bien résolu de ne plus la quitter, et sans avoir rien perdu, heureusement, de cette candeur et de ce bon naturel qui ne se peut guère garder qu’aux champs, et dans la vie qu’un Animal dont le cœur est bien placé peut mener au milieu des fleurs et en plein air devant cette bonne nature qui nous caresse de tant de façons. — C’est le privilège des âmes candides d’approcher le mal impunément. — Il demeurait au midi dans ce superbe vieux mur, et avait eu le bon esprit, ayant trouvé au beau milieu d’une pierre un brillant petit palais, d’y vivre sans faste, plus heureux qu’un prince, et de n’en être pas plus fier pour cela.

C’était en vain qu’un Geai huppé lui avait assuré qu’il descendait de Crocodiles fameux et que ses ancêtres avaient trente-cinq pieds de longueur. Se voyant si petit, et voyant

  1. Le Kardouon de Charles Nodier.