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D’UNE VIELLE CORNEILLE.

— Voyagez, me dit alors une vieille Cigogne qui avait soigné mon mari et mes enfants pendant leur maladie ; voyagez. Vous partirez inconsolable, vous reviendrez consolée. Combien de douleurs sont restées sur les grands chemins !

Cette Cigogne était connue pour sa fidélité : à tous les bons sentiments, mais la pratique du monde l’avait endurcie. Cette parole me parut impie, et je la laissai sans réponse.

Quelques Corbeaux, de ceux que mon mari avait le plus aimés, joignirent alors leur voix à celle de l’impassible Cigogne, et pendant quelques jours je n’entendis rien autre chose que ceci : « Partez, partez. » me disait-on de tous côtés.

Mon cœur se brisait à la pensée d’abandonner ces pierres vénérées où je les avais tous vus vivre, m’aimer et mourir ; où, en dépit de ma raison, j’espérais toujours les voir reparaître, car il faut des années pour croire à la mort de ceux qu’on aime… Ô terre ! où vont les morts, et que fais-tu d’eux ? — Mais le moyen de souffrir à sa guise au milieu de gens qui se croient tenus de vous consoler ?

Je partis donc, je partis pour être seule, pour pleurer à mon aise.

Pendant cinquante ans, je dois le dire, je ne me suis ni arrêtée ni consolée. Mais, hélas ! faibles que nous sommes ! nous ne savons même pas pleurer éternellement. La sceptique Cigogne avait dit vrai. Et après avoir pleuré,