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SOUVENIRS

Ne dirait-on pas, à voir l’air et la terre incessamment traversés, qu’on gagne quelque chose à se déplacer ?

Les uns courent après le mieux que personne n’atteint, les autres fuient le mal auquel personne n’échappe. — Les Hirondelles voyagent avec le soleil et le suivent partout où il lui plait d’aller ; les Marmottes le laissent partir et s’endorment en attendant son retour, sur la foi de cet adage que le soleil, ce qui pour elles est la fortune, vient en dormant. Mais des unes, beaucoup partent, et bien peu reviennent : l’espace est si vaste et la mer si avide ! Et des autres, beaucoup s’endorment et peu se réveillent : on est si près de la mort, qui toujours veille, quand on dort. — Le Papillon voyage pour cette seule raison qu’il a des ailes ; l’Escargot traîne avec lui sa maison plutôt que de rester en place. L’inconnu est si beau ! — La faim chasse ceux-ci, l’amour pousse ceux-là. Pour les premiers, la patrie et le bonheur, c’est le lieu où l’on mange ; pour les seconds, c’est le lieu où l’on aime. — La satiété poursuit ceux qui ne marchent pas avec le désir. — Enfin le monde entier s’agite ; dans les chaînes ou dans la liberté, chacun précipite sa vie. — Mais pour le monde tout entier comme pour l’Écureuil dans sa cage, le mouvement ce n’est pas le progrès : — s’agiter n’est pas avancer[1]. — Malheureusement on s’agite plus qu’on n’avance.

Aussi dit-on que les plus sages, pensant que mieux vaut un paisible malheur qu’un bonheur agité, vivent aux

  1. S. La Valette (Fables).